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Le déterminisme inversé

 

Le déterminisme inversé

 

 

Où l’on constate que pour préserver notre libre arbitre, nous devons combattre le dogme de l’irréversibilité !

« Tu vois ce col là-bas, c’est par là qu’on va passer »

« Heureux de te l’entendre dire ! Tu vois que tu sais lire dans l’avenir! »

« Qu’est-ce que tu me racontes ? Ah oui… mais non, là, c’est différent puisqu’on le voit, c’est dans le présent ! »

« Pas du tout, ce qui est dans le présent, c’est juste un aperçu du col, une trace. Quand on sera arrivé là-bas, on vivra des choses complètement différentes. On peut tout juste les imaginer d’avance grâce à cette trace. »

 

Tout à coup, une brume nuageuse se mit à descendre des Monges en rendant invisible notre objectif. Le mauvais temps qui sévissait au nord des Alpes menaçait de s’installer dans la réserve, malgré le mistral qui dégageait avec force le ciel en disloquant les quelques nuages qui s’avançaient vers le sud.

 

« Ouh là, j’ai bien peur qu’on se fasse rincer, là haut. »

« Ah mais… j’espère que tu n’es pas en train d’effacer notre avenir ! »

 

Je me faisais un plaisir d’illustrer mes propos de la veille au soir. Patrick résistait à tout ce que je lui racontai sur le temps. Je souhaitais seulement réussir à le faire douter.

 

« Non, répliqua-t-il, on continue, ça va se dégager. On n’a qu’à faire une pause et prendre l’apéro maintenant, vu qu’il est bientôt midi. On verra bien ensuite comment ça tourne.»

« Sage décision de ton libre arbitre ! »

« Ah, je te vois venir, avec ton fichu libre arbitre. Si j’étais un robot j’aurais pris la même décision. »

« A la différence que toi, tu as conscience de ta décision, alors que le robot, lui, n’a pas besoin de conscience pour décider.»

« Et alors ? Quoi qu’on fasse, c’est un cerveau qui décide, et il y a toujours une raison dans cette décision, consciente ou pas.»

« Non, on peut aussi agir sans raison apparente, avec ses sentiments, ses émotions par exemple. »

« Mais ça reste encore sous le contrôle de ton cerveau. La vraie raison s’y trouve quelque part, même si elle est inconsciente.»

« Oui mais pas toujours, sinon ça voudrait dire qu’on n’aurait qu’un seul avenir, et dans ce cas on en verrait des traces. »

« Encore ton histoire de traces… mais pourquoi veux-tu voir des traces de ton avenir ? N’importe quoi ! »

« Parce que je vois des traces de mon passé, et que les lois de la nature sont réversibles par rapport au temps. La seule chose qui puisse expliquer qu’on ne puisse pas voir de traces de l’avenir, c’est qu’il soit multiple ou modifiable à tout moment. C’est ça qui oblige le futur à rester indéterminé ou invisible, flou ou embrumé, exactement comme ce col qu’on distingue à peine.»

« Qu’est-ce que tu racontes, c’est faux, les lois de la nature ne sont pas réversibles. Il y a plein de choses irréversibles, tiens, par exemple quand tu chauffes un plat, ou là, tiens, si je jette ce caillou dans la rivière, il ne risque pas de remonter tout seul ! »

« Oui je sais, on dit que c’est à cause de l’entropie* qui augmente tout le temps. Mais tu sais quoi, cette fameuse entropie qu’on t’a appris à l’école, c’est purement empirique, c’est juste une question de probabilité : les choses irréversibles ne le sont qu’en apparence, uniquement parce qu’il est infiniment peu probable pour elles de revenir en arrière. »

« Et alors, je ne vois pas ce que ça change ? »

« Ce que ça change ? Mais ça change tout, mon cher ami ! Car si tout est réversible, ça veut dire qu’on peut se servir aussi bien des traces du futur que de celles du passé pour comprendre ce qui arrive dans le présent. Et ça veut dire que notre présent lui-même peut résulter de notre avenir ! »

« Mais ça n’a pas de sens ! Et même, aucun intérêt. La seule chose qui nous intéresse, c’est de pouvoir déduire l’avenir. »

« Ecoute, on déduit bien le passé de ce qu’on observe dans le présent pour comprendre ce qui s’y est passé. Eh bien, l’intérêt de déduire le présent de l’avenir, c’est la même chose, c’est donc de mieux comprendre ce qui se passe dans le présent.»

« Je ne pige pas. C’est l’avenir qui doit être déduit du présent, pas l’inverse. Le présent ne peut être déduit que du passé, et d’ailleurs tiens, justement, vu qu’il n’y a qu’un seul passé, il ne peut y avoir qu’un seul avenir.»

 

Patrick était en train de nous concocter un petit apéritif maison dont il avait le secret. Après avoir sorti un sachet de son sac puis découpé en deux une bouteille en plastique vide, il utilisa l’une de ses parties comme récipient et l’autre comme entonnoir après l’avoir bouché avec un bout de tissu en guise de filtre.

 

La vue de cet entonnoir inspira ma réponse : 

« C’est faux ce que tu dis, car même sans aucun libre arbitre, l’avenir reste incalculable, car il est multiple par essence, ça s’appelle l’ « indéterminisme ». Mais ce n’est pas tout : figure toi que le passé lui aussi pourrait bien être multiple. Car pour fabriquer ta mixture,  il y a plein de façons différentes de remplir ton entonnoir qui aboutissent toutes au même résultat ! »

 

« Tu m’embrumes l’esprit ! »

 

Il ne croyait pas si bien dire. La brume du col était en train de descendre rapidement vers nous. On allait bientôt se retrouver dans un nuage…

 

Patrick pensait comme la plupart des gens dotés d’un assez bon niveau de culture scientifique. Nous serions le plus souvent conditionnés et ne ferions que des choix illusoires, imposés par la nécessité d’évoluer.

 

L’Arbre de Vie que j’avais tenté de lui expliquer la veille au soir le gênait par ses postulats : d’une part l’authenticité de notre libre arbitre, d’autre part l’hypothèse que notre futur existait déjà sous de multiples versions.

 

Paradoxalement, c’était cette dernière hypothèse qui avait fini par recevoir un assentiment de sa part. Elle était une conséquence du fait que le temps est traité exactement comme une dimension d’espace. Les physiciens et les mathématiciens n’ont en effet aucune réticence à concevoir ce traitement inhabituel du temps, car c’est tout simplement la Théorie de la Relativité qui les y a habitués.

 

Albert Einstein lui-même, le père de la relativité générale, fut le premier à remettre en question la notion de temps et notamment celle du temps présent. Le fait que chacun d’entre nous vivions un temps relatif et subjectif rend en effet impossible la définition même d’instant présent pour l’univers tout entier. Même la notion d’ « état de l’univers » à un instant donné est complètement fausse si l’on se réfère à notre temps subjectif.

Observez par exemple une étoile dans le ciel, à de nombreuses années lumière de la terre. Nous avons du mal à imaginer que cette étoile fait partie du passé. Il est cependant possible qu’elle ait déjà explosé et disparu, s’il s’agit par exemple d’une supernova. Pour nous cet événement fait partie de l’avenir et n’existe donc pas encore, alors que pour ce qui est de l’étoile, il est déjà passé. Mais le pire, c’est qu’Einstein nous a montré qu’il n’est même pas nécessaire que des objets soient éloignés pour ne pas avoir le même présent, car il leur suffit de se déplacer à des vitesses différentes. Et c’est ainsi que quelle que soit la zone de l’espace, le présent ne peut pas y exister !

 

Face à l’irréalité du présent, le temps est traité par l’Arbre de Vie comme une dimension d’espace. Cela implique que nous nous déplaçons dans le temps exactement comme nous nous déplacerions dans un véhicule en pilotage automatique qui traverse l’espace à vitesse constante. Ce véhicule nous conduit dans le temps vers une destination inconnue, mais déjà présente selon une multitude de possibilités. Néanmoins ce véhicule est impropre à décrire notre libre arbitre parce que notre parcours est déterminé par de nombreux facteurs, et que nous sommes nous-mêmes conditionnés. L’Arbre de Vie est plus adapté dans la mesure où il définit au préalable l’ensemble des canaux que nous pouvons suivre, compte tenu de ce conditionnement déterministe*. Nous pouvons monter ou descendre de l’arbre, c'est-à-dire évoluer ou rétrograder, choisir ou nous laisser guider…

 

Sur cette question du temps assimilé à de l’espace, j’avais presque réussi à convaincre Patrick. Il voulait bien croire que le futur existait déjà, mais dans une version unique, alors que j’étais partisan de versions multiples. C’était donc la question du libre arbitre qui avait suscité le plus de débats entre nous. Elle était autrement plus discutable que l’omniprésence du futur.

 

Le « postulat » du libre arbitre repose sur l’idée que devant chaque nouvel embranchement de notre Arbre de Vie, nous aurions à faire un choix pour vivre un scénario plutôt qu’un autre.

Nous serions d’après ce postulat, vraiment libres et responsables de nos actes. Nous pourrions avoir un destin tout tracé, un seul et unique scénario privilégié de vie, mais seulement dans le cas où nos intentions resteraient inchangées.

 

Malgré un tel destin « choisi », notre Arbre de Vie resterait pertinent, car à la moindre modification « authentiquement libre » de nos intentions ce destin changerait et nous emprunterions une autre branche. Notre futur serait sous le contrôle de nos intentions : les probabilités de remonter une branche plutôt qu’une autre varieraient en permanence en fonction de nos intentions.

 

Notre futur serait donc « indéterministe* », c'est-à-dire...

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Hasard ou conditionnement, même combat !

 

En un mot, notre avenir serait unique et déjà tracé car théoriquement calculable, et il faudrait simplement attendre que le temps s’écoule pour le connaître.

 

Ces idées ont pourtant été remises en question au cours du XXième siècle [23], une première fois par la mécanique quantique avec le principe d’incertitude de Heisenberg, et une seconde fois, beaucoup plus récemment, par la Théorie du Chaos [33]. Il n’en reste pas moins que la Théorie des Variables Cachées demeure puissante et contribue à maintenir solidement les fondations du déterminisme qui, avec la causalité, sont même les fondations de toute la science.

 

Notre problème ici est que l’Arbre de Vie est en contradiction totale avec le déterminisme, et qu’il se présente même en concurrent opposé à cette conception bien ancrée, car une conséquence évidente de l’Arbre de Vie est que le déterminisme devrait être inversé !

Lorsqu’en effet on descend d’un arbre le long de ses branches, on aboutit invariablement au tronc selon un mécanisme visiblement déterministe qui, contrairement au cheminement vers le haut, nous dispense d’avoir à faire le moindre choix. Or c’est en direction du futur, c'est-à-dire vers le haut, que le déterminisme prétend nous dispenser de tels choix, et non l’inverse.

 

En direction du passé, nous comprenons bien qu’aucun choix n’est possible, puisque nous ne vivons pas dans ce sens et que pour choisir, encore faut-il vivre. Mais est-ce que cela signifie pour autant que le passé puisse résulter du présent de façon déterministe, lorsqu’on considère notre évolution à l’envers ?

 

Autrement dit, pour revenir sur mes pas, dois-je emprunter le même chemin qu’à l’aller, en repassant exactement par les mêmes positions ? Je me posais cette question tout en épousant le rocher que j’étais en train de gravir, quand j’entendis Patrick me dire:

« Arrête toi là Philippe, tu n’arriveras plus à descendre. »

« Mais je n’ai pas l’intention de descendre… »

« Attention, si tu ne peux pas continuer à monter tu seras bien obligé de descendre, et on risque de se retrouver coincés. »

« Mais non, si on arrive à monter on arrivera bien à descendre. »

« Pas du tout. On dirait que tu n’as jamais fait d’escalade.»

 

Patrick avait raison. En escalade, il est beaucoup plus facile de monter que de descendre, tout simplement parce que les aspérités de la roche qui servent de point d’appui à nos pieds pendant la montée deviennent souvent invisibles en sens inverse. Il en résulte qu’à la descente on est parfois obligé d’hésiter longuement et dangereusement entre de multiples points d’appui hypothétiques, et il n’est pas rare qu’on arrive plus à trouver le bon. L’escalade avait ainsi toutes les caractéristiques d’un cheminement irréversible.

 

Pendant notre randonnée vers le sommet des Monges, la brume épaisse qui était tombée nous avait conduit à faire une pause à un endroit où un choix s’était imposé à nous : soit nous poursuivions notre marche dans la brume sur le petit sentier initialement prévu, au risque de s’égarer, soit nous empruntions un raccourci consistant à escalader une falaise, en profitant d’une faille découverte à proximité du lieu de notre halte. Pour gagner du temps, nous avions opté pour cette dernière solution et étions arrivés à mi-hauteur de cette falaise.

 

« Je te signale que de toutes façons, j’ai bien peur qu’on ait déjà plus le choix : regarde derrière toi. »

 

Les deux mains bien assurées, Patrick tourna la tête vers le bas pour tenter de distinguer la voie que nous avions suivie, mais la falaise lui parut soudain tellement abrupte qu’il eut un rapide mouvement de recul, comme si le vertige l’avait envahi.

 

« Et bon sang ! On est pas dans la mouise. T’aurais pas une corde dans ton sac ? »

« Non mais ne t’inquiète pas, on va trouver la bonne voie, allez on continue. »

 

En disant cela, je comptais surtout sur l’effet psychologique que mon assurance pourrait générer sur Patrick. Ce n’était plus le moment de plaisanter mais d’exploiter les vertus supposées d’une attitude positive et déterminée. Bien que cette décision de continuer revenait justement à se mettre sous la dépendance d’un déterminisme bien établi, celui d’une éventuelle impasse pouvant confirmer les craintes de Patrick, je ne voulais croire qu’en un seul déterminisme réellement fiable en direction du futur : celui de mon intention tout à fait confiante.

 

Mais l’intention de Patrick était encore plus convaincante que la mienne, aussi je fis un saut pour revenir à son niveau et réfléchir avec lui à la situation. Il était hors de question de continuer la descente par sauts, car elle était bien trop dangereuse.

 

Est-il vrai que certains trajets pourraient être vraiment irréversibles, fermant ainsi la voie à ...

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Pour nous faciliter la descente nous avions emprunté une autre voie qu’à la montée, et une agréable surprise nous attendait au terme de cette désescalade : une magnifique dalle à ammonite juchée sur un replat de la falaise formait une superbe table naturelle, juste assez horizontale pour accueillir notre pique-nique. Le temps de ce déjeuner, la brume s’était dégagée et avait même disparu du sommet des Monges.

 

« Tu as eu une superbe intuition en décidant de descendre et de nous faire passer par là ! »

« Sans ton aide on ne serait pas ici. J’étais à deux doigts de te suivre, il aurait suffi que tu me tendes la main.»

« Alors il faut croire j’ai eu une bonne intuition, moi aussi… hum… je crois bien que si on avait grimpé, on serait restés coincés.»

« Regarde la forme de celui-là ! On dirait un hippocampe ! »

« Dire que ce truc a des centaines de millions d’années ! »

« Regarde là, à côté, on dirait qu’ils se sont fossilisés en même temps. Cette dalle est petite mais elle est bien plus jolie que celle de Fontbelle et pourtant, personne ne doit la connaître. »

« Tu as vu où on est ? Ce n’est pas étonnant. D’ailleurs, je me demande si elle n’est pas de formation très récente. Regarde cet énorme rocher, on dirait qu’il vient de tomber. »

« Ouf, en effet ! Et il n’est pas le seul, on dirait que tous les autres autour viennent aussi de là-haut. Mieux vaut ne pas rester trop longtemps plantés là ! »

« Ce sont sûrement les intempéries récentes qui les ont détachés. A mon avis celui-là s’est cassé il y a une dizaine de jours durant le fort gel. D’ailleurs regarde, ce morceau est tombé sur les traces d’un mouflon. »

« Oh mais alors c’est beaucoup plus récent ! »

« Non il n’a pas plu depuis et ça a séché. Tiens regarde, il y a de la boue séchée sur celle-là, pourtant elle semble bien être aussi tombée de là-haut. Le mouflon a dû arriver là et l’éclabousser en galopant, avant que l’effondrement ne se soit stabilisé »

« Mais dis donc, c’est que tu nous ferais un bon Sherlock Holmes ! »

« Oh non, tu sais, il n’y a rien de certain là-dedans. Tiens d’ailleurs, toutes ces traces du passé sont peut-être encore plus incertaines que cette trace de notre futur que nous avons suivi juste avant de trouver la faille ! »

« Qu’est-ce que tu me racontes ? Laquelle ? »

« Tu ne te souviens pas ? »

 

Bien avant que Patrick ait décidé de faire une pause au pied de la falaise pour attendre que la brume se désépaississe un peu, nous étions parvenus à un endroit où nous n’arrivions même plus à distinguer le sentier. Même en rebroussant chemin nous n’étions pas certains de ne pas nous tromper de direction. Il semblait plus raisonnable de rentrer. En pleine hésitation, voyant tout à coup un rayon de soleil filtrer l’espace de quelques secondes, comme pour clarifier notre avancée, nous nous étions regardés et Patrick avait dit, d’un air entendu :

 

« Allez, on continue ! ».

 

Et effectivement, une heure plus tard, à l’issue de notre escalade aventureuse, tout s’était dégagé.

 

La bonne décision de Patrick semblait provenir d’un rayon de soleil. Pourrait-il s’agir d’une trace du futur ? Pour le savoir, encore faudrait-il pouvoir interroger la loi d’information qui  permettrait de déduire le présent du futur. Mais pour la connaître, il est plus sage de s’intéresser tout d’abord à la reconstitution du passé à partir de traces indubitables.

 

Y aurait-il donc un moyen de réaliser d’une façon systématique le travail de Sherlock Holmes, afin d’acquérir une certitude dans tout travail de reconstitution du passé ?

 

Reprenons l’exemple du phénomène apparemment le plus difficile à inverser: un mélange entre deux constituants. On peut déjà reconstituer, au moins qualitativement, l’état initial qui a abouti à ce mélange tant qu’il n’est pas complètement réalisé, car les micro-résidus non mélangés fournissent des indices ou traces d’existence de l’état initial. On pourrait même reconstituer cet état initial même lorsque le mélange est complètement réalisé, pour peu qu’on utilise des traces externes au mélange, comme par exemple l’observation de paquets de café et de litres de lait entamés à proximité d’un bol de café au lait. Sans parler du souvenir de la personne qui a pris son petit déjeuner !

 

C’est ainsi que la perte d’informations sur un système à cause d’une dégradation ou d’un mélange pourrait bien n’être qu’apparente et ne pas empêcher de reconstituer son état passé, grâce à l’immense redondance des traces ! Et de plus, une reconstitution du passé peut être beaucoup plus précise qu’une prévision du futur. Par exemple, une reconstitution d’un verre cassé à partir de centaines de morceaux de ce verre éparpillés par terre, décrivant de quelle façon ces morceaux se rassemblent, serait beaucoup plus précise qu’une prévision pour savoir comment ils vont se disperser après que le verre se soit brisé dans sa chute.

 

La physique statistique serait en effet totalement incapable de prédire la position de tous ces morceaux épars !

 

Il en va de même pour une voiture accidentée : on peut reconstituer un accident après qu’il ait eu lieu, bien plus facilement que le prévoir avant qu’il n’arrive, car la plupart des accidents font intervenir des facteurs redondants humains, mécaniques, météorologiques et locaux dont le faisceau de convergence au lieu et temps de l’accident est totalement imprévisible, au point qu’il faille même par simulation remonter le temps à partir des effets connus pour en comprendre les causes.

 

Et j’ai pris soin jusque-là de privilégier des exemples qui ...

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Sauf si bien entendu, nous tentions à nouveau d’introduire du hasard dans les calculs.

 

Car c’est justement parce que nous ne respectons aucune contrainte de prédétermination de l’avenir pour le prévoir que nous pouvons utiliser le hasard. Mais la statistique est impuissante à satisfaire la moindre condition future particulière, et elle dévoile bien sa limite en présence des phénomènes chaotiques. La Théorie du Chaos nous montre en effet que si nous voulions calculer précisément le futur de certains systèmes, nous serions obligés, face à leur instabilité, d’imposer d’avance des conditions futures très particulières, impossibles à calculer autrement! Ne serait-ce que pour préciser par exemple à notre modèle de calcul, si l’on préfère que l’effet du vol d’un papillon* en Australie soit de provoquer une tempête dans les Caraïbes plutôt qu’en Méditerranée !

Ou encore, ne serait-ce que pour préciser à l’ « auteur » de notre scénario de randonnée, s’il préfère nous retrouver coincés au milieu d’une falaise à attendre un hélicoptère, plutôt que de nous voir réussir à atteindre le sommet par une voie insoupçonnable.

 

Car finalement, après un festin improvisé autour de notre dalle à ammonites, Patrick et moi avions vite déniché une nouvelle voie pour grimper en haut de la falaise, en suivant une seconde faille qui en deux temps et trois mouvements nous emmena au sommet : la « chance » semblait nous sourire en même temps que le retour du soleil. Patrick s’étonna de ce retournement de situation:

 

« Je n’en reviens pas. Cette descente où nous nous sommes guidés l’un et l’autre nous a sacrément porté chance. Je n’aurais jamais cru qu’on puisse s’en sortir aussi bien! »

« C’est toi qui a pris la bonne décision, celle de descendre. »

« Mais non, c’est toi qui a décidé de m’aider à descendre. »

« Dans ce cas, tu veux que je te dises : nous étions en face d’une véritable bifurcation, et c’est notre futur qui nous a attiré vers lui. Nous, on s’est contenté de vivre les deux possibilités avec un détachement suffisant. Nous étions ainsi prêts à choisir spontanément celle qui nous emmènerait vers ce futur. »

« Ah, ah, ah… Ca ne m’étonne pas de toi, Philippe, mais non, allons ! on a eu un coup de chance c’est tout, et c’est par hasard qu’on est finalement tombé sur cette dalle… »

 

Par hasard ? La physique statistique s’est effectivement imposée comme une loi empirique nous permettant de faire usage du hasard pour prévoir le futur, mais elle est totalement mise en échec dès que nous voulons contraindre ce futur à prendre certains états prédéterminés, et je dirais même plus : des états « créatifs », mais pourtant tout à fait possibles.

 

« Ton hasard, à mon avis, il ne nous aurait même pas permis de trouver la première faille et on se serait égarés en bas de la falaise... », répondis-je à Patrick.

 

En physique, savoir répertorier et calculer les différentes solutions possibles pour un système indéterministe, quitte à leur affecter des probabilités, correspond bien à un besoin réel des physiciens. Or aujourd’hui, on ne sait pas plus calculer les multiples versions potentielles d’un tel système que de faire fonctionner la physique statistique à l’envers pour retrouver les conditions initiales.

Par exemple, la météorologie sait prévoir un orage mais ne pourra jamais prédire à quel endroit et à quel moment la foudre va tomber parce que cet évènement est intrinsèquement indéterministe. Il est alors beaucoup plus raisonnable de calculer la probabilité pour que cet évènement advienne à un moment précis, en rassemblant tout d’abord le faisceau de convergence de toutes les conditions initiales devant obligatoirement concourir ensemble.

 

Or la Loi de Convergence des Parties* se propose justement...