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Interview de Thibault Damour par l'INREES

Interview de Thibault Damour par INREES TV

<<la réalité quantique serait bien faite de superpositions de réalités classiques...>>

<< la réalité est comme un film multisurimpressionné.... et nous sommes une des couches de surimpression de ce film>>

<< La physique moderne, après tout, nous dit que la mort est une illusion...>>

<< la notion habituelle de réalité est naïve et on n'a pas le droit, en fait, de dire qu'il existe une réalité en dehors de nous >>

<< la notion de réel est en fait crée par l'esprit humain qui crée de l'ordre dans l'univers autour de lui et c'est l'esprit humain et la physique en particulier qui définit la réalité et non pas l'inverse. >>

Il est rare qu'un illustre physicien comme Thibault Damour prenne le risque de présenter au grand public les implications à la fois philosophiques, spirituelles et fantastiques de la physique moderne, dans le contexte actuel d'une science encore trop embourbée dans son réductionnisme matérialiste. Thibault Damour a d'autant plus de mérite à le faire qu'il est un membre très estimé de l'académie des sciences, lieu où l'inertie de cet ancien paradigme est théoriquement la plus forte... mais il semblerait que ça change. Je me suis permis de publier la retranscription de cet interview par l'INREES, alors que la vidéo est normalement réservée à ses seuls abonnés, parce qu'il s'agit là d'une communication de grande utilité et valeur publique.

Présentatrice : Autour de nous des gens s'éveillent à d'autres réalités. Qu'ont-ils à nous apprendre ? Pourriez-vous être un des leurs ? L'ExtraLab part à leur rencontre pour une exploration riche de sens qui pourrait bien élargir votre vision du monde.

Intéressons nous un instant à la nature de la lumière. Est-elle une onde qui se propage dans l'espace comme les ronds dans l'eau ? Est-elle constituée de milliers de petits points de photons. Voici les questions qui ont habité Einstein pendant son jeune âge. Son intérêt pour la lumière a changé notre conception du temps et de la réalité. Mais comment la lumière a-t-elle permis de remettre en question ces deux concepts ?

Non loin de Paris, à l'Institut des Hautes Etudes Scientifiques, Thibault Damour, Physicien Théoricien et spécialiste de la relativité générale, nous invite à une exploration dans le monde de la physique. Ce voyage commence en 1905 auprès d'Albert Einstein.

Thibault Damour : Au début de 1905 Einstein a écrit à un ami : " Je viens de commettre plusieurs articles scientifiques dont l'un concerne la nature du temps (on parlait de la théorie de la relativité restreinte) et dont un autre est vraiment révolutionnaire ". Donc dans cette phrase Einstein dit que le seul article vraiment révolutionnaire de 1905 n'est pas celui sur la théorie de la relativité restreinte, mais celui où il affirme que la lumière est faite de particules.

Présentatrice : Einstein venait alors de comprendre que la notion de réalité telle que la percevons n'existe plus, et c'est la lumière elle-même qui lui permettra d'amorcer ce grand changement, cette étonnante remise en question du temps et de la matière.

Thibault Damour : Einstein a réfléchi toute sa vie à la nature de la lumière. On sait que dès l'âge de 16 ans, il a eu une vision onirique où il essayait de s'imaginer ce qui se passerait s'il pouvait chevaucher la lumière c'est-à-dire suivre un rayon lumineux en allant aussi vite que ce rayon lumineux. A l'époque il pensait, comme tout le monde, que la lumière devait être une onde et donc il se posait la question : " Mais si je vais aussi vite que cette onde, eh bien, je vais surfer sur cette onde et donc je ne vais plus voir la lumière comme une oscillation. " et déjà il s'était dit : " ça doit être impossible ", et après une dizaine d'années de réflexions, l'impossibilité de chevaucher la lumière l'a conduit à l'idée de la théorie de la relativité restreinte, dans laquelle la lumière joue un rôle essentiel pour changer le concept de temps.

La façon dont Einstein a utilisé la lumière pour changer le concept de temps consistait à se dire que, on allait pouvoir définir la simultanéité entre deux évènements sur terre en échangeant des signaux lumineux, c'est-à-dire de dire que, deux évènements sont simultanés si quelqu'un qui est au milieu de ces deux évènements va recevoir le flash lumineux émis par ces deux évènements en même temps.

Cette définition simple de la simultanéité contient l'essence de la théorie de la relativité et par quelques raisonnements mathématiques, Einstein en a conclu que la notion de simultanéité dépendait de l'observateur qui définissait cette simultanéité et donc qu'il n'y avait plus la notion de temps absolu, d'une simultanéité indépendante de qui décrète que deux évènements sont simultanés.

La première conséquence qu'Einstein a déduit de cette nouvelle façon de penser le temps c'est que, si l'on prend deux horloges ou deux êtres humains, et que ces deux horloges ou ces deux êtres humains se séparent, il y en a un qui part à une certaine vitesse et qui revient avant de retrouver son compagnon, eh bien, le temps vécu par l'horloge voyageuse ou l'humain voyageur est différent du temps de l'horloge sédentaire ou de l'humain sédentaire. Et c'était la première fois dans l'histoire de la physique que quelqu'un disait qu'il n'y a pas une chronologie absolue, cosmique, qui existe indépendamment de tous les êtres et de toutes les horloges qui mesurent le temps, que si l'on définit le temps comme ce qui est vécu par une horloge ou un être humain, eh bien, la vitesse de déplacement d'un objet par rapport à l'autre va changer la notion de temps vécu quand ils se retrouvent.

Cette découverte d'Einstein montre la possibilité du voyage dans le temps, puisque ça veut dire par exemple que, si j'ai un frère jumeau, que s'il quitte cette pièce, qu'il part dans une fusée à très grande vitesse, il y passe, vécu par lui, une heure, il revient dans cette pièce et il se rend compte que je suis mort depuis des milliers d'années ou des centaines de millions d'années puisque, avec la vitesse, et en utilisant les formules de la relativité d'Einstein, on démontre que l'on peut faire des sauts dans le futur aussi grands que l'on veut. C'est en ce sens là que l'on peut dire que le passage du temps est une illusion dans la théorie de la relativité. Selon la vitesse de déplacement dans l'espace, on peut avoir accès à des morceaux du temps complètement différents, ce qui montre que la notion de passage uniforme du temps, le même dans tout l'univers, n'existe plus dans la théorie de la relativité d'Einstein.

On dit parfois qu'on peut voir la lumière d'une étoile alors que cette étoile a disparu, n'existe plus, ou que l'on reçoit la lumière du big-bang et que, le big-bang, c'est quelque chose qui s'est passé il y a treize milliards d'années. Cette façon d'exprimer les choses continue à utiliser la notion de temps comme étant une structure qui existe en dehors de la notion d'espace. Un être ou une étoile qui a eu une certaine existence trace en fait une ligne dans cet espace-temps et la seule réalité c'est la ligne qui est cette étoile ou un être humain qui lui-même trace une ligne dans cet espace-temps et donc il n'y a pas, il n'y a plus la notion de passage du temps, il y a cet empilement qui est hors du temps.

Une des dernières lettres écrites par Einstein, un mois avant sa mort, qui était une lettre de condoléances pour son meilleur ami qui était mort justement, un mois avant lui, cette lettre contient la phrase : " Voilà qu'il m'a quitté de peu en quittant ce monde étrange, cela n'a aucune signification, pour nous, physiciens dans l'âme, la séparation entre le passé, le présent et le futur ne garde que la valeur d'une illusion, si tenace soit-elle. ". Cette phrase montre en tout cas, qu'Einstein lui, prenait au sérieux une conséquence philosophique potentielle de la théorie de la relativité restreinte.

Présentatrice : Un bouleversement dans notre conception de la vie que nous ne mesurons cependant pas. La nature de la lumière ouvre une autre porte : celle de l'infiniment petit et du monde quantique où s'empilent une multitude de réalités.

Thibault Damour : Alors qu'Einstein a été le premier, en 1905, à proposer qu'un phénomène qui était connu depuis toujours comme étant ondulatoire qui est la lumière, avait aussi un aspect corpusculaire, donc que quelque chose qui était considéré comme une onde devait aussi être considéré comme une particule, Louis de Broglie a eu l'idée en 1924 de renverser la proposition d'Einstein et de dire que, une particule comme l'électron, qui avait toujours été considérée comme un corpuscule, peut-être pourrait être considérée comme ayant aussi des aspects ondulatoires.

La fusion entre les idées d'Einstein et de De Broglie et leur prolongement a été obtenue par Schrödinger en 1925, en prenant l'idée de De Broglie mais en la complétant en écrivant des équations, on a conclu que la réalité devait être décrite par une onde, et que du coup, l'essence de la physique quantique consistait à dire que tous les systèmes physiques, que ça soit de la lumière ou de la matière, soient décrits comme une superposition ondulatoire qui se propage dans un espace fictif qui est un espace de toutes les réalités possibles. Sauf que, pour Schrödinger, il considérait que l'espace de toutes ces réalités était fictif et, après lui, d'autres physiciens, à commencer par un jeune américain, Everett, a eu l'idée que, il ne fallait pas dire que c'était fictif, que malgré le caractère parfois absurde des superpositions de réalités décrites par la physique quantique, eh bien, il fallait changer notre concept de réalité et dire que la réalité quantique était bien faite de superpositions de réalités classiques qui apparaissent contradictoires entre elles mais qui, à l'intérieur de l'onde quantique, se superposent.

Et on peut considérer que des morceaux de cette grande ondulation décrivent approximativement des univers séparés, des mondes séparés en ce sens que, si les atomes dont nous sommes constitués participent à un mouvement ondulatoire à l'intérieur de cette onde, ils ne seront conscients, dans l'illusion de la conscience humaine, que d'un morceau de la grande réalité. C'est ça l'idée d'Everett, c'est-à-dire que la réalité est bien une superposition, mais on ne se rend pas compte de cette superposition. C'est un peu comme si, vous avez un poste de radio, et soit vous vous branchez sur la fréquence de France Inter ou de France Culture. Si vous êtes branchés sur la fréquence de France Inter la seule réalité qui sera là pour vous c'est que vous écouterez les ondes de France Inter, mais dans l'espace autour de vous les ondes de France Culture passent aussi, donc dans la superposition de toutes les ondes, il y a bien diverses ondes qui passent.

La physique quantique nous dit que la réalité est comme un film multisurimpressionné, mais elle ajoute que, nous-mêmes, nous ne sommes pas des spectateurs en dehors de ce film, nous sommes à l'intérieur de ce film et nous sommes une des couches de surimpression de ce film. Nous sommes en fait nous-mêmes une multitude de surimpressions de plusieurs couches mais, chaque modèle de nous-mêmes, chaque sentiment que nous avons d'exister correspond à une seule couche dans cette surimpression et chaque couche de surimpression a l'impression de voir un film logique où il s'est passé seulement une chose et pas une autre, mais en fait il faut imaginer que le grand film de la réalité, c'est une surimpression de toutes les potentialités décrites par la physique quantique.

Présentatrice : Mais peut-on voir dans cette représentation de la réalité des parallèles avec certaines cosmogonies, légendes ou spiritualités qui décrivent le monde comme une toile infinie de potentiels ?

Thibault Damour : La description de la réalité quantique donnée par Everett, c'est-à-dire donnée par l'équation de Shrodinger pourrait être rapprochée de certaines visions philosophiques ou spirituelles de la réalité. Je pense en particulier ici à un passage de la Bhagavad Gita qui décrit une superposition infinie de mondes possibles cachée à l'intérieur de la forme universelle de Krishna que découvre Arjuna sur le champ de bataille et, je ne pense pas que ce rapprochement avec la philosophie hindoue aide à comprendre en quoi que ce soit la physique quantique mais, en revanche, si cela aide à comprendre ce passage de la Bhagavad Gita, pourquoi pas ? L'histoire de la physique tend à montrer que, peu importe les conceptions philosophiques des scientifiques qui peuvent parfois les aider à penser hors des champs de réalité habituels, ce qui compte à la fin c'est de trouver un résultat rationnellement communicable. L'équation de Schrödinger est une équation qui est rationnellement communicable. A chacun d'aller vers la physique, de réaliser la beauté conceptuelle de la physique et, si ça nourrit des idées philosophiques, chacun a le droit de le faire, à condition de ne pas aller trop loin c'est-à-dire de violer le coté rationnel de la physique telle qu'elle existe.

Présentatrice : Thibault Damour nous invite là à bien comprendre comment la physique décrit notre réalité. Ces découvertes extraordinaires amèneraient les hommes à appréhender la vie d'une autre manière et notamment pour les rationalistes tant attachés aux fondements scientifiques. En effet, la science elle-même nous conduit là aux portes du fantastique. Il n'est même plus besoin de faire un quelconque parallèle avec certaines spiritualités du monde pour plonger dans l'étonnement, mais juste de tenter de comprendre ce que des équations complexes nous décrivent.

Thibault Damour : Ca peut donner une légèreté philosophique et qui peut même aider à surmonter ce que certaines personnes considèrent comme des épreuves de la vie liées au passage du temps ou à la mort. La physique moderne, après tout, nous dit que la mort est une illusion car le temps est une illusion et que certains malheurs terribles se diluent si on pense que la réalité est une superposition de tout ce qui a pu arriver, et j'espère que dans le futur l'humanité apprendra un peu quelques leçons philosophiques de cette description de la réalité. A l'heure actuelle toutes les données expérimentales que nous avons confirment que ces théories décrivent bien la réalité mais, toute théorie est mortelle aussi, l'expérience nous l'apprend. Je pense que peut-être la physique du futur sera différente de la physique que l'on connait actuellement mais je pense qu'elle sera encore plus subtile et profonde. Einstein était conscient du fait que la notion habituelle de réalité est naïve et qu'on n'a pas le droit, en fait, de dire qu'il existe une réalité en dehors de nous, puisque notre seul accès à la réalité, au sens physique habituel, c'est la physique et ses équations. Et donc, Einstein était très conscient du fait que la physique est une sorte de métaphysique en ce sens qu'elle ne nous donne pas accès à une réalité qui préexiste. La notion de réalité doit être déduite des équations de la physique elle-même. Ce qu'est la réalité n'est pas quelque chose qui préexiste mais, il faut regarder la physique elle-même et changer notre conception de la réalité selon les lois de la physique et ça, cela nous ramène à une pensée profonde du philosophe Emmanuel Kant qui disait que, la façon dont l'être humain décrit la réalité, ça n'est pas comme naïvement on le croit, qu'il y a une réalité et que la description de la réalité doit copier ce qui préexiste, mais que c'est notre théorie du réel qui crée le réel, que la notion de réel est en fait crée par l'esprit humain qui crée de l'ordre dans l'univers autour de lui et c'est l'esprit humain et la physique en particulier qui définit la réalité et non pas l'inverse.

Références et liens:

- la vidéo de l'INREES

- la bande dessinée de Thibault Damour

- mes commentaires sur ses illustrations

- sa conférence à l'IHES de décembre 2015

- mon article sur une des ses précédentes conférences